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L’heure du tri

La mémoire du web est défaillante. Je remarque avec une certaine surprise que la plupart des vidéos en lecteur exportable sur ce blog sont désormais « offline ». Ceci est explicable puisqu’elles sont sujettes à la durée de vie des start ups derrière les plate-formes de partage multimédia, elles-mêmes tributaires des investisseurs, donc de la situation économique. Le contenu de ces sites est également tributaire des aléas des comptes utilisateurs, leurs paramètres de confidentialité que l’on peut changer à tout moment, ce qui est une bonne chose. Le maillon le plus faible en ce qui concerne la « conservation » à long terme de ce contenu se situe au niveau des utilisateurs qui le mettent en ligne à un moment donné et le retirent après quelques jours, mois, années, en fonction, par exemple, des conflits que ce contenu peut avoir avec leurs vies privées, ou de simples répercussions inattendues ou non-désirées dans leur quotidien. Le problème, c’est qu’en retirant un contenu qui était partagé, on « casse » tous les liens entre les utilisateurs qui y ont fait référence, on retire souvent la « source » en tant que document à partir duquel le pote bloggeur a rédigé son article.

Ainsi, j’ai passé une heure avant de rédiger cet article à supprimer ou à modifier les réglages de confidentialité ( = passer les vidéos publiques au statut de vidéos privées) sur mes différents comptes de partage vidéo. C’est très étrange de revoir ce qu’on partageait avec le monde entier il y a seulement quelques années. On se rend compte que l’on n’avait peur de rien. Que l’on avait notre vie en ligne. Pour ma part, je me souviens que ce que j’ai partagé à ce moment là de ma vie ne m’avait jamais nui, au contraire. Je ne peux pas dire que je l’efface maintenant à cause de commentaires atroces, de moqueries ou d’humiliations, ou autres raisons pas drôles du tout. J’efface parce que je ne désire plus montrer ma vie, ou me montrer tout simplement. Je ne suis plus dans cette logique de montrer absolument ce que je fais, de partager tout ou presque tout. Et je remarque que beaucoup de mes anciens compères rencontrés via ces réseaux sociaux ont fait de même : la plupart des liens de ce blog sont cassés. Je les ai donc supprimés de la sidebar qui paraît bien vide, du coup.

Et lorsque des personnes de « la vraie vie » avec qui nous n’avons jamais eu de contact online par le passé nous parlent de nos vieilles vidéos, de nos « différentes identités » sur les réseaux sociaux, nous citent in texto des phrases de nos blogs, ça fait réfléchir. Cela m’est arrivé aujourd’hui, et j’avoue que ça m’a fait me demander si j’avais envie de laisser ce contenu là à la disposition de tous. J’ai eu un choc, j’avoue, en me rendant compte que je n’avais pas « fermé » ce pan là de ma vie plus tôt, ce pan « archives », puisque d’un autre côté j’avais coupé toute production. En tant que professionnelle dans le milieu des archives, j’avoue que c’est un sérieux dilemme : « effacer » c’est perdre définitivement, c’est rompre des liens entre des informations partagées, entre sites et blogs et moteurs de recherche etc… « Effacer » ou rendre indisponible quelque chose qui était disponible auparavant, c’est une négation de ce passé, c’est claquer la porte qui était grande ouverte. C’est aussi un peu se nier.

Quoi qu’il en soit concernant les dilemmes intérieurs que cette action puisse dénoter, il faut se rendre au fait que les archives, ça se trie, et qu’au final, certaines doivent être détruites. Que ce soit par manque de place, de ressources ou de temps pour les traiter, ou alors parce qu’elles constituent un risque quelconque : la destruction des archives se fait quotidiennement dans tous les domaines. Surtout en préparation d’un déménagement dans des nouveaux locaux. L’archiviste passe sa vie à trier, à comparer, à cataloguer des éléments qui se ressemblent plus ou moins. L’archiviste sélectionne ce qu’il est crucial de conserver, et se sépare de / détruit / donne plus loin les doublons ou éléments de moindre qualité. En ce qui concerne le contenu que j’ai effacé, mon éthique d’archiviste est sauve: il ne s’agit aucunement de documents utiles à la mémoire de l’humanité.